En rive gauche de la rivère Drôme, Grâne semble se cacher, tournant le dos à la vallée, elle se dérobe à la vue du voyageur pressé. De la grande route, on n’en voit que les quartiers les plus récents.
Le vieux village, lui, ne se laisse deviner que lorsqu’on arrive vers la place du Champ de Mars, et encore, il faut, à pied, se laisser aspirer par l’entonnoir de la place pour se retrouver, piéton bien modeste, sous la muraille de ce curieux clocher sans église.
A gauche une rue descend, à droite la ruelle montante m’attire vers ce dédale dont je devine qu’il me mènera bien au sommet de la butte.
Au dessus des dernières maisons j’ai suivi le sentier qui conduit aux Trois Croix. Là, dans la prairie, je domine tout le village et les ruines de son château. Plus bas les toits d’une belle demeure côtoient ceux des maisons qui toutes semblent à l’abri du mistral. A travers les arbres, face à la plaine de la Drôme, je découvre le quartier des écoles, et à mes pieds, un relief tourmenté : des carrières, les falaises de Grâne ne sont pas toutes naturelles. Presque sous chaque maison on trouve des anciens fronts de taille comme dans le théâtre de verdure au dessus des écoles.
Pourquoi Grâne village perché ?
Habitat collectif de hauteur regroupé au pied d’un château; on dit aussi «castral».
Dans le sud-est de la France, un village sur deux est de ce type, et les villages perchés du Val de Drôme constituent un exemple remarquable de ce vaste ensemble.
Dans le monde Romain antique, l’habitat rural est éparpillé dans la campagne. Aux 11 e et 12 e siècles, l'habitat se regroupe et se perche.
Pendant longtemps les historiens ont attribué le phénomène de se percher à la nécessité de se défendre contre les invasions. Mais l’histoire montre que ces forteresses étaient, à chaque guerre féodale, prises voire détruites, et n’auraient résisté à pareilles invasions.
En fait, les seigneurs locaux auraient cherché à rassembler la population rurale, pour mieux prélever leur part des richesses de la croissance agricole, et établir certains monopoles comme le four ou le moulin.
Grâne, une commune étendue
Le territoire communal de Grâne est très vaste, 4 500 ha dont 2 000 de bois. La population reste très dispersée. Le village, éloigné des zones inondables de la vallée de la Drôme, s’est abrité du vent du nord en se perchant sur le flanc sud d’un mamelon coiffé au Moyen Âge par le château seigneurial.
De la préhistoire au moyen âge
Des silex et outils témoignent d'une occupation à l'époque préhistorique. Deux villas gallo-romaines ont été localisées près de la route de Loriol : de nombreux vestiges y ont été trouvés, en particulier un dolium (grande urne à provisions) visible à l'IME de Val Brian.
Durant ces quatre siècles, Grâne faisait partie du Comté de Valentinois-Diois. Son château, dont les ruines dominent encore le village, était une des résidences favorites des comtes de Poitiers qui y conservaient leurs archives et leur trésor. Grâne est à plusieurs reprises dévastée par les guerres seigneuriales, les pillages des grandes compagnies et les épidémies.
Le 2 août 1416, dans le château de Grâne, le dernier comte Louis II de Poitiers, sans héritier mâle légitime, est pris en otage pendant 15 jours par ses cousins, le seigneur de Saint-Vallier et l'évêque de Valence, qui le contraignent à signer un testament en leur faveur. Libéré, le vieux comte essaie d'annuler cette donation en se remariant, mais il n'a pas d'enfants. Le pape finit par casser le testament signé sous la contrainte. Ce n'est qu'en 1447, près d'un siècle après le Dauphiné, que les comtés seront rattachés par Louis XI à la France. En 1548, Henri II donne Grâne et les comtés à sa favorite Diane de Poitiers. Les guerres de religion y sèment la dévastation. Vers la fin de ce 16e siècle, les murailles et le château féodal de Grâne sont démantelés.
La révolution
En 1642, Louis XIII cède le Valentinois au Prince de Monaco. Les Grimaldi sont de grands seigneurs qui vivent à la Cour de Versailles. Leur châtelain à Grâne y a pouvoir de basse justice et veille à la rentrée des impôts et redevances, en particulier les banalités sur le four et le moulin. D'autres seigneurs vassaux possèdent de vastes domaines, tels les Chabrières de la Roche qui résident dans le nouveau château au bas du village. L'église Saint Jean-Baptiste, de style roman, se trouvait à l'emplacement de l'Hôtel de Ville actuel et de la placette accolée au clocher. Celui-ci, percé de meurtrières pour armes à feu, a probablement été édifié au 15e siècle, en remployant certains matériaux du précédent clocher.
Sous la Révolution, les Grânois participent aux premières fédérations françaises organisées dans notre région ainsi qu'au siège de Toulon sous le commandement du lieutenant Bonaparte. Un arbre de la Liberté est planté devant l'église.
En 1792, l'avocat grenoblois Duchesne achète le château et son domaine. Il sera député sous le Directoire et président du Tribunat sous le Consulat. Mais son opposition à Bonaparte lui vaut d’être évincé du Sénat par l’Empereur.
Le 19ième siècle
Le 19e siècle voit le triomphe, puis le déclin de la sériciculture et de l'industrie de la soie. Grâne compte quatre "fabriques". Sa population dépasse les 2 000 habitants en 1851.
A la suite du coup d'État de Louis-Napoléon, le 6 décembre 1851, plusieurs centaines de Grânois, poussés par la misère et la colère, s'arment et marchent sur Crest. Ils se heurtent à la troupe, deux d'entre eux sont tués. Le soulèvement échoue. Une répression terrible s'abat sur les insurgés (déportation en Guyane ou en Algérie, travaux forcés dans les bagnes de métropole, emprisonnement...)
La première guerre mondiale
Au 20e siècle, 75 à 78 Grânois sont tués pendant la Première Guerre mondiale. Les conditions de vie des survivants, souvent gazés ou éclopés, et de leur famille, ainsi que celles des veuves et des orphelins resteront longtemps difficiles.
La seconde guerre mondiale
Elle entraîne le départ de nombreux jeunes, dont beaucoup, faits prisonniers, ne reviendront que cinq ans plus tard. Et les restants au village, les femmes, les enfants, les vieillards, obligés d’assurer la subsistance, s’épuisent au travail ou dans les longues « queues » aux portes des magasins, pour des rations dérisoires. Diverses formes d’opposition et de solidarité permettent cependant à nos ruraux de survivre et d’organiser la Résistance. Par dizaines, ils s’engagent dans les rangs combattants et participent à chasser l’ennemi et ses acolytes de Vichy. La lutte d’août 1944 est meurtrière, 19 Grânois sont tués pendant les combats pour la libération de Grâne.
La population de la commune, tombée à 1067 en 1975, est remontée au-dessus de 1800 habitants en 2014.